« Je balaie du regard la cour de l’internat, enfants d’oligarques, de généraux, de marchands d’armes ou de pétrole, de financiers apatrides, corrompus à tous les étages, corrompus en famille, corrompus dans la solitude, jusque dans leur sommeil. Une réunion des parents d’élèves, si elle avait lieu, ressemblerait à une audience préliminaire de la Cour pénale internationale. » Entre une mère morte tragiquement, un père toujours absent et une babouchka dépassée, le narrateur et son petit frère sont placés dans un internat huppé. Tandis que le mur de Berlin tombe, que Pinochet chute, que les Ceausescu sont arrêtés, cette petite « République d’enfants cruels » vit une autarcie bien particulière au milieu des glaciers de moins en moins glacées. Raphaël Haroche dessine subtilement le sublime et le poisse des pulsions adolescentes, les haleines sensuelles ou avinées, et l’amour farouche de deux frères, seuls ensemble, traqués par le fantôme de leur mère et voués à vivre d’autres disparitions encore…
Nicolas pose son sac sous ses jambes.
Il porte un bermuda bleu marine, une chemise à manches courtes et des mocassins.
J’ai porté ces chaussures moi aussi, elles ont parcouru mille fois le parquet de la maison, ses figures géométriques dans lesquelles je cherchais une signification, les rues du quartier, la poussière des squares, leur cuir est devenu lâche et distendu à force de les avoir mises et enlevées, d’avoir marché sur leurs contreforts pour me grandir.
Nicolas hérite de mes vieilles affaires, c’est la règle des caders, rien ne peut dormir tranquillement dans un placard, on attend toujours pour prendre votre place, des affaires dans lesquelles j’ai marché, transpiré, dans lesquelles j’ai eu honte.
Raphaël Haroche, Avalanche
Raphaël Haroche, Avalanche, Gallimard, 2023.